Quelques idées sur l’interaction

Herbert Blumer, Professeur de sociologie à l’Université de Chicago, enseigna à des générations de chercheurs qui travaillaient selon la « tradition de Chicago » ; il fut, je pense, le premier à parler de « l’interactionnisme symbolique » en tant que point de vue, que « théorie ». En alternative à trois autres approches dans l’étude du comportement humain : la théorie des instincts, la théorie « stimulus-réponse (SR), et la théorie de la culture, il a proposé l’interactionnisme, cadre qui a nourri son enseignement, mais n’a été publié que dans un livre qui est maintenant épuisé. (Blumer 1937).

Nous qui étions étudiants à la fin des années 40 et au début des années 50, pensions toujours que son approche était bizarre, parce que nous ne pouvions imaginer que quelqu’un soit assez naïf pour accorder crédit à ces idées qui, nous semblait-il, étaient clairement dépassées.

Certainement personne ne pensait plus qu’il y eût des instincts poussant les gens à être agressifs ou coopératifs, ou altruistes. Nous ne comprenions pas que la pensée psychanalytique était une version très sophistiquée d’une telle théorie et nous ne pouvions pas imaginer que la sociobiologie et que le behaviourisme fondé sur la génétique apparaîtraient dans le cours de nos vies. Nous ne voyions pas non plus que la collecte conventionnelle de données par des questionnaires et autres instruments similaires postulait comme existante une sorte de vision stimulus-réponse de l’action humaine. Et nous pensions que la culture allait tellement de soi qu’il n’y avait aucune question particulière à poser pour expliquer les raisons d’agir des gens.

Ce qui était faux avec ces approches était qu’elles considéraient comme donné que le comportement était d’une manière ou d’une autre une réponse automatique à quelque chose provenant de l’intérieur de la personne ou de son environnement.

En contradiction avec une démarche centrée sur l’idée d’interaction, que nous décrirons plus loin, ces approches postulaient les idées suivantes :

        Les êtres humains sont passifs. Ils ne font rien, attendant que quelque chose les incite à agir. Si rien n’arrive qui les pousse à l’action, ils ne bougent pas. Une telle conception du comportement humain est basée sur l’identification des liens entre les impulsions, qu’elles soient internes ou externes, et les réponses. Toute activité est une réponse à une impulsion provenant de quelque part.

        La théorie des instincts postulait que les gens sont poussés à l’action par des besoins impérieux qui sont partie intégrante de la nature humaine, hardwired comme nous disons mantenant, immuables, inchangeables.

        La théorie Stimulus-réponse supposait que les gens sont poussés à l’action par des stimuli externes pour lesquels ils ont appris les bonnes réponses, celles qui sont gratifiantes.

Les théories de la culture supposaient que les actions accomplies consistent simplement à faire ce que la culture affirme comme étant la bonne manière de faire les choses dans les occasions où il est approprié de les faire.

Les réponses sont solidement arrimées à la nature humaine, déterminées par l’expérience antérieure, ou simplement prises, toutes faites, dans la culture, et ainsi ne sont pas susceptibles de changer une fois qu’elles ont été activées.

Le comportement peut être compris comme une affaire d’individus, non comme une affaire de gens en contacts les uns avec les autres. Ces approches envisagent un monde d’individus isolés, en témoigne par exemple l’usage de termes tels que « stimulus social » pour évoquer les gens autres que des acteurs objets de l’étude.
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Parce que l’interaction par définition n’est pas une activité solitaire, une idée de la conduite humaine centrée sur cette idée ne se focalise pas sur des actes isolés d’individus mais sur le développement de l’action collective, sur la façon dont les gens agissent ensemble pour créer une activité qui devient quelque chose à quoi ils ont tous contribué.

David Mamet (l’auteur théâtral americain) dit, quelque part, en donnant à cette idée une expression parfaite, que dans une pièce de théâtre, chaque personnage dans une scène est là pour une raison, ils sont tous là pour obtenir ce qu’ils veulent, pour parvenir à ce à quoi ils veulent parvenir. S’ils n’avaient pas de raison d’être là, ils ne seraient pas là. La scène consiste pour chacun d’eux en la recherche de ce qu’ils essaient d’obtenir, mais ils doivent pour cela s’arranger avec les autres personnes présentes, qui font toutes la même chose. L’issue, le résultat de la scène, est quelque chose, très vraisemblablement, que personne d’entre eux ne voulait. C’est ce qui se dégage de la poursuite par chacun de ses propres buts.

Une approche interactionniste consiste à se demander comment la mise en œuvre d’un tel acte collectif est possible. Qu’est-ce qui doit être vrai du comportement humain pour qu’une telle action collective puisse se réaliser ? Cela conduit aux idées suivantes, opposées à celles qui sont caractéristiques des approches mentionnées plus haut.

Les êtres humains sont actifs. Ils ne sont pas passifs. Ils ne sont pas plantés là à attendre que quelque chose les pousse à agir. Au lieu de cela, ils sont toujours en train d’agir, d’essayer de faire quelque chose, et de chercher autour d’eux les voies et les moyens d’accomplir tout ce qu’ils essaient de faire.
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La conduite humaine n’est jamais automatique, mais implique toujours la possibilité d’une pause, pendant laquelle l’acteur peut réfléchir sur l’action en cours et penser à d’autres possibilités de réagir à ce qui est en train de se passer, à ce que les autres sont en train de faire.

Pendant de telles pauses, l’acteur pense à la manière dont les autres vont réagir à ce qu’il est en train d’envisager, et il adapte ce qu’il était en train de faire pour tenir compte de cette réponse qu’il anticipe. Ici le modèle est le jeu d’échecs dans lequel je pense à bouger mon pion ici, m’interromps pour penser à ce que fera mon adversaire et, voyant qu’il a une bonne réponse à opposer au mouvement envisagé, essaie quelque chose d’autre.
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Ceci n’implique pas que l’acteur imagine correctement la réponse des autres, que le joueur d’échecs ne se trompe jamais à propos de ce que l’adversaire est sur le point de faire. En fait, il est peu probable que l’anticipation se vérifie. Au contraire, il y aura des imprécisions nécessitant pour l’acteur d’ajuster ce qu’il est en train de faire pour intégrer les nouvelles informations fournies par les réactions des autres.

Mais, à l’évidence, il n’y a jamais seulement deux personnes impliquées. L’acteur ne pense jamais seulement à une personne assise de l’autre côté de l’échiquier. Au lieu de cela, l’acteur tient compte de tous les gens impliqués dans l’action entreprise. Même dans une partie d’échecs, il y a des spectateurs, d’autres joueurs qui sont des adversaires potentiels pour d’autres jours, des officiels des organisations d’échecs, des membres de la famille, etc,etc. Dans l’élaboration de sa stratégie, l’acteur tient compte de façon plus ou moins simultanée des réponses potentielles de tous ces gens.

Notez bien que j’ai parlé d’une stratégie plutôt que d’une réponse. Les réponses ne sont jamais des actes isolés, elles font partie du développement de stratégies, de longs rayons d’action dans ce processus consistant à noter les choses qui se passent dans l’environnement, à envisager les réponses à leur apporter, à adapter ces réponses à la lumière des réponses qu’il est possible d’anticiper, et tout cela répété encore et encore et encore…

Le tableau se complique naturellement, infiniment, dès lors que nous reconnaissons le fait que tous ces autres gens qui sont impliqués dans le développement de la stratégie d’une personne sont elles-mêmes engagées dans le même processus consistant à scruter l’environnement, à imaginer les actions possibles à lui apporter, et à développer une stratégie. Ainsi l’image que nous devrions avoir est celle d’une multitude de gens faisant tous la même chose. Et ce qui en sort, c’est quelque chose qui se réalise, c’est une action collective.

Et une action collective qui est, dans un certain sens, efficace. Cela ne veut pas dire, dans cette perspective, que les gens fassent toujours “les choses appropriées” et atteignent leur but. Ce serait totalement irréaliste parce que, en réalité, les choses ne se réalisent guère selon les attentes des gens comme l’a souligné David Mamet. “Efficace”, dans ce contexte, signifie que les gens arrivent plus ou moins à une situation dans laquelle ils peuvent décider qu’ils sont satisfaits de ce qui est arrivé au minimum. En tout cas que nous pouvons comprendre au minimum comment et pourquoi cela arrive ou pas. (Blumer utilisait le mot “moral” pour décrire la capacité d’un groupe à réaliser ses objectifs. Cette idée est brillamment exposée dans une étude de Tamatsu Shibutani, consacrée aux Nippo-Américains enrôlés dans l’armée américaine durant la deuxième guerre mondiale.)

“Interaction”, ainsi entendue, n’est pas une notion mystique mais quelque chose de très réaliste, de très carré. Jadis, Blumer nous donnait l’exercice suivant : Tirez une dizaine de minutes au hasard de votre propre vécu et donnez une explication dans la langue et avec les concepts proposés par mes trois bêtes noires, à savoir les trois courants ci-dessus cités. Cela nous semblait simpliste jusqu’à ce que nous essayions de le faire. Puis nous découvrions que nous ne pouvions pas trouver, pour rendre compte d’une façon qui nous semblait à tous la plus raisonnable, une expression “dans la culture” pour des détails de ce que nous faisions et pensions dans les situations les plus ordinaires : se raser, faire la vaisselle, traverser la route. La “culture” ne fournit pas d’indications quant à la façon de mettre mon pantalon, sinon de l’enfiler d’une façon ou d’une autre afin d’être correctement habillé, et ne fournit pas d’avantage d’indication sur le degré de cuisson de mes toasts.

À l’évidence, les autres approches avaient quelque chose à proposer. Toutes ces têtes bien pensantes avaient un peu raison, un peu. Ainsi, elles pouvaient être comprises avec quelque utilité, une fois replacées dans une perspective interactionniste.

Le noyau de vérité dans la théorie des instincts est que les comportements ont une base biologique, qui comprend les besoins et les compétences de base pour l’action. La nuance importante proposée par l’interactionnisme est que, certes, nous avons tous des besoins alimentaires et sexuels, mais que ceux-ci doivent d’abord êtres appréhendés comme des désirs qui peuvent être satisfaits d’une certaine manière et que celle-ci est apprise à l’occasion d’interactions avec l’environnement qui inclut d’autres gens. Et cette satisfaction ne pourra être atteinte qu’à la faveur de quelque arrangement avec les autres quant à la manière de faire, arrangements atteints à la suite d’un processus de constructions de stratégies telles que je les ai décrites.

Le noyau de vérité dans la théorie du Stimuli-Réponse est que pour la plupart, les comportements humains présentent un caractère quelque peu automatique mais seulement dans des circonstances spécifiques. Je peux me permettre d’avoir un comportement automatique uniquement dans la mesure où je peux être totalement certain que la réponse des autres sera exactement ce qu’elle a toujours été, sans changement. Il en est ainsi de certains domaines dans lesquels les autres agissent de façon tellement prévisible que je peux laisser mon corps continuer - la façon dont nous traversons la rue aux feux, n’entrant en collision avec personne, est un excellent exemple.

Le noyau de vérité des explications culturelles des comportements, réside dans le fait qu’il y a bien quelque chose que l’on peut appeler la culture, il existe un accord partagé plus ou moins connu de tous les participants dans une quelconque action collective, pouvant servir de référence à chacun pour anticiper les actions des autres. Si nous connaissons ce qu’est cet accord partagé nous pouvons décrire assez bien, si ce n’est parfaitement ce que les autres feront dans une situation donnée. Ce qu’il faut ajouter c’est que cet accord partagé n’est que le début de la négociation que constitue l’interaction, le guide de conduite auquel peuvent se référer les participants tandis qu’ils mettent en oeuvre une stratégie collective dans laquelle ils s’engagent. Ils peuvent en fait reproduire les choses comme ils l’ont fait la dernière fois, mais ceci doit être reconnu comme une possibilité et non comme quelque chose de garanti. L’explication fournit par William Graham Sumner (dans son ouvrage classique Folkways) sur le développement de la culture est un phénomène très fréquent. L’analogie aux jeux d’Echec pourrait être que les règles du jeu fournissent un cadre qui rend la partie jouable possible mais ne dicte pas les déplacements ou la façon dont ils sont effectués.

Il y a bien sûr de la stabilité et de la régularité dans les actions humaines. Les gens n’agissent pas au hasard, aussi, donc une question fondamentale dans une perspective interactionniste est de savoir comment les choses arrivent, étant donné le caractère indéterminé sur lequel insiste cette posture. La réponse est que des mécanismes, telle la culture ou les réponses apprises, “fonctionnent” quand la situation le permet. Et que cela arrive quand une forme d’action collective apparaît, à travers le processus que j’ai décrit, et créé des attentes stables que tout le monde dans la situation donnée peut attribuer à n’importe qui d’autre. Aussi ce qui a été “convenu” comme étant culturel n’est que ce que tout le monde tient pour acquis.

Autrement dit, lorsque A fait des hypothèses sur la réaction de B, la plupart du temps, son hypothèse sera confirmée. Et que s’il émet autre chose que l’hypothèse conventionnelle, elle sera probablement erronée; son action se trouvera arrêtée et interrompue et il aura des problèmes.

Si tout le monde agit selon les conventions, les choses passent en douceur. Les gens apprennent que les réponses suggérées par la culture “marchent” et donc continuent à les appliquer et cela signifie que ces réponses marchent pour tout le monde aussi bien. C’est circulaire. Aussi l’inertie joue-t-elle un rôle important dans le maintien de l’action collective. En tout cas jusqu’à ce que quelque chose intervienne: les circonstances changent, quelqu’un ait envie de prendre la peine de faire les choses différemment, etc.

Bien que la perspective interactionniste ne soit en rien mystique, elle laisse beaucoup de questions sans réponse et tient pour acquis certaines choses évidentes bien qu’elles ne le soient pas.

Le sujet le plus important et considéré comme un postulat est comment tout cela “marche”. Quel est, dans la réalité, le processus par lequel les gens arrivent à une perspective commune qui leur permet d’engager une action collective efficace ? C’est très joli s’évoquer le rôle de l’autre, mais les tentatives de recherche pour affronter cette question directement n’ont pas produit grand chose d’intéressant.

L’analyse conversationnelle – et ce n’est peut-être pas ce que ses défenseurs voudraient dire à son sujet quant à ses vertus et ses propriétés, mais c’est ce que je trouve crucial, comble ces lacunes. Elle montre comment les gens ont une gestuelle qui signale leurs intentions aux autres, comment les autres en viennent à comprendre cette gestuelle et à en exécuter une en réponse en une sorte de marchandage. Jusqu’à ce qu’ils arrivent en définitive à ce qu’ils s’arrêtent à ce qu’il convient de faire ou se trouve en train de faire ce qui doit être fait.

Deirdre Boden (Boden 1990) propose les choses de façon légèrement différente, et dit que l’analyse conversationnelle montre comment l’interaction c’est le langage, et comment le processus même du parlé, par exemple — qu’étudie l’AC — à savoir le fait de prendre son tour, produit ce que les autres sociologues voient comme organisation sociale, structure sociale et institutions:

“L’ordre social et la structure sociale ne sont pas extérieurs à l’action, mais plutôt produits dans et à travers les structures localisées de l’interaction. . . . (p. 250)

“Une analyse serrée de la conversation quotidienne révèle justement cette coordination de l’action à laquelle G.H. Mead et Herbert Blumer étaient si sensibles, et la localise précisément dans l’orientation de tel acteur à tel autre dans le plus envahissant de tous les actes sociaux (la conversation).” (p. 253)

Les multiples exemples donnés dans son article (pp. 254, 256, 257-8, 263-64) montrent précisément comment, dans le cours d’une conversation banale, une action collective concertée se dégage.

Finalement, cette façon de penser la vie sociale et l’action collective a des conséquences pour toutes les questions en suspens concernant la manière dont la science sociale peut et devrait être menée. Je prendrai juste un exemple : le problème de la prédiction.

Les spécialistes  des sciences sociales ont toujours voulu faire des prédictions, utiliser leur connaissance du fonctionnement de la société pour prédire le futur, pour dire ce qui arrivera bientôt, pour expliquer comment des situations problématiques vont se développer et ce qu’il en résultera. L’assurance avec laquelle physiciens et chimistes prédisent ce que seront les résultats d’une réaction chimique leur a fait envie, comme de dire ce qui va arriver quand nous laissons tomber un poids depuis une certaine hauteur, toutes ces multiples choses que ces spécialistes dans les autres champs prédisent avec tant de facilité. Mais nous n’avons jamais réussi à faire cela. Même la plus « scientifique » des sciences sociales, l’économie, a échoué lamentablement à prédire ce qui va arriver aux économies nationales, au marché financier, aux entreprises. La sociologie n’a jamais été capable de faire ce qu’elle aimerait faire : annoncer les prochaines explosions de violence civile quelque part, prédire les chances pour les couples mariés de rester mariés ou pour les prisonniers relachés de commettre de nouveaux crimes, pour évoquer quelques-unes de ces choses dont les sociologues ont tellement espéré deviner l’avenir.

Ce que les défenseurs des sciences sociales disent habituellement, confrontés à ce terrible bilan d’échec, c’est que nous n’avons pas eu assez de temps pour développer une telle science prédictive, mais que nous finirons peut-être par y arriver. Je ne le crois pas. Il y a deux sortes de raisons pour lesquelles nous ne devons pas – et, en principe, ne pouvons pas – prédire le cours de la vie sociale.

En premier lieu, et c’est le plus important du point de vue empirique, il y a la difficulté radicale à tenir compte systématiquement des millions de choses qui, de fait, sont impliquées dans chaque situation sociale : les circonstances immédiates de l’interaction (qui pourraient être appelées le niveau Goffman de l’interaction) ; les contraintes et opportunités organisationnelles d’un milieu social spécifique (une école, une usine, un voisinage…) ; les plus grandes réalités régionales, nationales et internationales, dont les gens dans une situation peuvent ne pas avoir conscience mais qui néanmoins limitent ce qu’ils peuvent faire. La question n’est jamais de savoir lequel d’entre eux est « plus » ou « vraiment » important. Tous jouent un rôle (en un sens ils sont multiplicatif plus que additif), et un changement dans l’un d’entre eux transforme le développement de son interaction et son issue. Mais nous ne sommes pas en mesure de les prendre en compte tous en même temps, et il ne me semble pas que nous puissions l’être un jour.

Supposons que, avec d’assez gros ordinateurs et d’immenses armées de collecteurs de données, cette difficulté soit résolue. Il resterait encore deux difficultés en principe. D’abord nous ne pouvons pas dire comment ou pourquoi les gens, lorsqu’ils sont en situation d’évaluer des alternatives et de définir une stratégie, font tel choix ou tel autre. Ensuite, et c’est plus décisif, même si nous étions capables de prédire comment A répondrait à une situation, nous avons aussi à traiter la réponse de B, qui est une partie de ce à quoi A aura à répondre (sans parler de C,D,E…N). Même si l’on pouvait découvrir des lois qui nous amèneraient à prédire ce que fera A, on ne pourrait pas en établir concernant la façon dont le chemin de A va rencontrer celui de B (et de C etc.)

Prenez un exemple que les statisticiens aiment bien : les accidents d’automobile. On peut prévoir que, si je bois plus qu’une certaine quantité d’alcool, je serai probablement amené à prendre de mauvaises décisions quand je conduirai, et qu’ainsi j’aurai plus de chances de heurter une autre voiture. Mais on ne peut pas prévoir que, au moment où mes capacités de jugement deviendront brumeuses, une autre voiture surgira dans une position telle par rapport à la mienne que mon erreur de jugement produira un accident. L’événement que nous appelons un accident requiert la « coopération » de beaucoup d’autres variables relatives au temps qu’il fait, au moment de la journée, au délai de réaction. Chacun de ces éléments suit son propre cours et il n’y a pas de raison de penser qu’il y a des lois reliant le cours d’une activité à celui des autres. Donc : pas de prédictions.

Voici les grandes lignes de ce qu’est la posture interactionniste par rapport au travail sociologique. Il y a beaucoup plus à dire et beaucoup plus a été dit dans de nombreuses monographies et rapports de recherche issus de ce courant.